Après avoir fait un saut au UK la semaine dernière, cette semaine on part aux US. Pas besoin de test PCR pour voyager avec TTFO. Ni de crème solaire. Ni de prendre du plaisir.
Ça fait plusieurs années que les cabinets de conseil alertent les employeurs (aux Etats-Unis, mais pas que) sur un GROS problème : une massive pénurie de talents à venir dans les entreprises (estimée à 85 millions de jobs non-pourvus d’ici 2030 au niveau mondial).
MAIS KEUWA ? On nous aurait menti, avec ces histoires de robotisation et de remplacement des gens par l’AI ? Non pas totalement, puisque cette pénurie concerne particulièrement les jobs à haute valeur ajoutée, mais oui sinon un peu quand même.
C’est pas marqué dans les livres - ah merde, si
On était prévenu : toutes les études disaient qu’il allait falloir se dépêcher de repenser ses politiques de formation, de rétention, d’évolution, de RH, de marque-employeur, de management - de tout quoi - pour essayer d’attirer et de retenir des talents qui allaient, par ce subtil effet de marché qu’on appelle l’offre et la demande et qui d’habitude est à leur désavantage, pouvoir se permettre d’être exigeants.
Et donc comme toujours quand on essaye de nous prévenir d’une grosse catastrophe à venir, rien n’a changé et là, voilà, on y est : un mouvement massif de démission est amorcé aux Etats-Unis notamment (au Royaume-Uni aussi, pour le reste de l’Europe évidemment le marché est différent, mais bon, on se connaît, on finit par faire les trucs des américains au final, juste avec quelques années de retard). Ils appellent ça “The Great Resignation” et avouez, ça claque.
Apparemment, entre avril et juin 2021, plus de 11,5 millions de travailleurs américains ont claqué leur dem, et 48% de celleux qui restent sont en train de se tâter sévère.
Pour les causes, on va pas épiloguer : évidemment la pandémie qu’on vient de se prendre dans les dents nous a tous mis face à nos conditions de vie et de travail, et nous a fait réévaluer nos priorités (et oui, a retardé des démissions prévues de longue date, mais c’est plus profond que ça). Évidemment de plus en plus de gens réalisent que leur métier n’a aucun sens et se demandent s’ils ont vraiment envie de se faire aspirer l’âme petit à petit jusqu’à la fin de leurs jours. Évidemment des politiques managériales pensées dans un contexte de déséquilibre des pouvoirs en faveur des entreprises (“t’es pas content·e ? y’a 100 personnes à la porte qui rêveraient de ton job”) ont poussé le bouchon un peu trop loin Maurice. Évidemment tout une génération est en train de réaliser qu’elle n’aura (quasiment) pas de retraite et qu’alors à quoi bon se saigner toute la vie si y’a même pas de kif à la fin ? Évidemment plus personne n’a envie de bosser nuit et jour en présentiel dans des locaux pourris dans des banlieues sinistres pour des salaires de merde. Ça coule de source, comme disait Guy. Super, c’est évident, et pourtant tout le monde a quand même l’air surpris.
Regarder devant soi, sans jamais baisser les bras
Et si, peut-être, par le plus grand des hasards, on profitait de savoir exactement ce qui va nous arriver sur la tronche, pour se poser des questions ? Parce que pendant que les entreprises américaines sont en panique totale, on pourrait essayer d’être plus malins ce coup-ci.
D’ailleurs vous savez, comme disent les gens sur Linkedin et dans les meilleurs memes Facebook de boomers : en mandarin ou je sais plus quoi, le mot crise veut aussi dire opportunité blablabla namaste carpe diem mindful.
Il y a plein d’articles intéressants qui sont sortis sur le sujet, par des gens qui essayent de garder la tête froide. Wired invite les employeurs à voir la grosse merdasse en cours non pas comme une crise, mais comme une redéfinition pour de bon des rapports des employé·es à leur travail (ET VU QU’ON SE TUE À LE RÉPÉTER DEPUIS BIENTÔT DEUX ANS, ON VA PAS LES CONTREDIRE), et une recherche plus profonde d’équilibre, et de santé mentale.
Les solutions, tout le monde les connaît, ça sert même à rien d’en faire des pavés : permettre aux salarié·es une plus grande flexibilité dans le choix de leur cadre/rythme de travail, ne pas les presser comme des citrons, les accompagner dans leur évolution, les former et leur permettre d’apprendre, les payer décemment, leur donner une vision et du sens, leur permettre aussi de changer de métier/poste quand iels en ont besoin, enfin bref c’est aussi simple à dire que ça semble compliqué à mettre en place.
Mais derrière toutes ces évidences, il y a eu ce mois-ci un article assez intéressant de la HBR (ah, ça faisait longtemps), adressé aux entreprises qui sont déjà en plein dans le bousin du turnover, et qui courent dans tous les sens comme des poulets sans tête : With So Many People Quitting, Don’t Overlook Those Who Stay.
Je vous laisse le soin de le lire si ils vous reste encore des articles gratuits ce mois-ci ou si vous êtes abonné·e (c’est une bonne situation ça, scribe ?). Il donne quatre conseils de bon sens, avec un message simple : et si au lieu de vous centrer sur les gens qui partent, vous vous centriez sur les gens qui restent ? C’est pas con, ça, pour éventuellement espérer régler le problème à la source. Mais le point le plus nouveau et intéressant - à mon avis qu’on pourrait difficilement qualifier d’humble si on est honnête vu qu’une newsletter entière y est dédiée - est le troisième : “make it okay to leave”.
L’article souligne que beaucoup d’employeurs traitent les départs émotionnellement, comme une annonce de rupture. Avec ce qui s’ensuit de chantage affectif, de dévalorisation, de moments désagréables dûs à un ego blessé. Alors que si on se disait qu’en fait, démissionner est normal et fait partie de la vie, ben on pourrait avoir des relations plus saines, et plus durables, avec les gens qui s’en vont. Parce que oui, on sait tous qu’une carrière au vingt-et-unième siècle, ce n’est pas passer 30 ans sur sa chaise à la COGIP, mais ce qu’on ne veut pas voir il semblerait, c’est qu’une carrière au 21ème (flemme) siècle, c’est aussi des allers-retours, parfois des sauts latéraux, bref, c’est pas franchement linéaire. On commence salarié·e, on passe freelance, on crée sa boîte, on repasse par la case salariat puis on repasse freelance, on est promu·e, on redescend d’un cran en changeant de job parce qu’il est cool, bref, on choisit ce qu’on fait pour d’autres motifs que l’ascension de carrière uniquement. Et que ben, quand on y pense, ça veut dire que oui, une part de turnover sera fort probable dans chaque boîte (dans des limites raisonnables, hein, sinon faut se poser des questions), mais que 1/ ça ne veut pas dire que la relation s’arrête là 2/ savoir laisser partir les gens, ça sera probablement une des qualités que les employé·es attendront de leur boîte à l’avenir.
C’est contre-intuitif, mais pas totalement.
Bisous,
Sev
PS : alors oui on pourrait avoir l’impression, à force, que TTFO est au final un peu ma newsletter, MAIS il semblerait, et je ne dis pas du tout ça pour lui mettre la pression et ne lui donner aucune porte de sortie, que l’article de la semaine prochaine soit assuré par le grand Romain. Si c’est pas beau ça.