Cette semaine, sous les yeux médusés de nous, Yvon Chouinard, le fondateur de Patagonia, a annoncé que lui, sa femme et le petit pr… ses enfants, avaient tout simplement cédé l’entreprise à deux structures, un trust et une ONG, chargées de préserver la nature.
L’article du NYT, qui ressemble certes à un communiqué de presse (très bien) reformulé, est absolument réjouissant. Il nous apprend que le déclencheur, pour Yvon, a été de voir sa bobine dans le classement Forbes des milliardaires : ça l’a bien mis en rogne, il s’est demandé comment se débarrasser de sa boîte qu’il a jamais voulue de toute façon, et paf, ça a fait des Chocapic.
Des nombreuses citations bien juteuses qu’on pourrait isoler, je vous offre ce petit taquet, qui est la réflexion d’Yvon sur l’option d’introduire Patagonia en bourse :
“I don’t respect the stock market at all,” he said. “Once you’re public, you’ve lost control over the company, and you have to maximize profits for the shareholder, and then you become one of these irresponsible companies.”
Ce qui me donne beaucoup de joie, avec cette annonce, c’est qu’en un seul, élégant mouvement, elle a rendu tous les “Engagements 2035” d’entreprise, à base de “Mais on plante des arbres” et de "N’oubliez pas de recycler nos trucs” complètement obsolètes.
La belle course à l’échalote de l’engagement RSE à coups de slides avec des gros chiffres et de landing pages tout en vert ressemble soudainement à un cross inter-écoles primaires. Yvon, c’est le Usain Bolt de la responsabilité environnementale : il s’en bat les reins, il ne demande son avis à personne et il danse sur la ligne d’arrivée pendant que les autres traînassent en soufflant à l’arrière.
Et alors que les entreprises s’arrachent la tronche à essayer de faire rimer fin de l’abondance et maintien de la croissance (oui je sais, ça rime déjà, mais en fait non ça rime pas) et à trouver des solutions - qui n’existent pas - pour éviter d’affronter la réalité - qui est qu’on ne va pas réussir à empêcher la planète de brûler sans tout faire péter - je me suis prise, comme Martin Luther King mais aussi Gad Elmaleh dans une pub LCL, à rêver.
J’ai rêvé d’un monde où on se réveille un matin et PAF, toutes les entreprises ont décidé d’être aussi radicales que Patagonia. Vous me direz que c’est impossible pour plein de raisons évidentes, comme le susnommé mécanisme des marchés, et le fait que c’est difficile de rétro-intégrer un objectif social à des entreprises qui ne sont pas structurées pour ou dont le produit est en contradiction fondamentale avec les enjeux écologiques, je vous répondrai comme une motivational quote sur Pinterest que si on ajoute une apostrophe ainsi qu’un espace à IMPOSSIBLE, ça donne I’M POSSIBLE, ce qui est bien une preuve.
Donc bref, regroupons mes trois passions (la stratégie, la fiction et raconter des conneries) et imaginons ensemble.
Qu’est-ce qu’on bouffe ?
Plus d’avocats, ça je peux vous le dire. Avocados from Mexico s’est recentré sur le marché local et s’est renommé “Avocados from and to Mexico”. Malheureusement, ils ont arrêté leurs pubs rigolotes au Superbowl, mais l’engagement c’est aussi des sacrifices.
On a arrêté le café, on est passé à la chicorée. Les machines Nespresso sont désormais uniquement des objets de design vintage vendus dans les brocantes, certains ont transformé les bacs de récupération d’eau en photophores pour un effet cosy en temps de coupure de courant l’hiver. “Carte Noire” s’appelle désormais “Carte Marronasse”.
Les marques d’eau en bouteille se sont transformées en distributrices d’eau. Les plus riches font brancher leur eau du robinet sur le système Evian, et savourent le plaisir de se doucher avec de l’eau filtrée pendant des millénaires par les roches des montagnes.
Les marques de gâteaux ont ENFIN arrêté le suremballage. On les achète désormais en vrac. Mais vraiment en vrac. On apporte son tupp’, on appuie sur un bouton du distributeur et on prie que ça soit des Granola et pas des Pim’s qui tombent (c’est étrangement toujours des Pim’s, framboise en plus). De toute façon on n’arrive plus trop à les différencier tellement il y a de miettes.
Evidemment on est tous·tes végétarien·nes maintenant. Charal, après quelques errances, propose les premiers steaks de soja de bonhomme : ils sont tout noirs, et arrivent avec des petites quotes comme le Yogi Tea, qui disent des trucs comme “pas besoin d’animal pour être un vrai mâle”.
Comment on se déplace ?
Air France s’appelle maintenant Terre France. Ils ont rajouté des roues à tous leurs avions qui servent désormais de bus scolaires. Dans les tout petits villages malheureusement, l’avant de l’avion est déjà dans la cour de l’école quand l’arrière est encore dans la ville d’à côté, donc les élèves montent à l’arrière, attrapent leur sachet de cacahuètes offert et descendent à l’avant.
La nouvelle signature de marque de SNCF est désormais “On vous l’avait bien dit”. En signe de réconciliation avec le PSG qui ne peut plus utiliser de jet privé puisqu’il n’y en a plus, SNCF Connect propose désormais des trajets multimodaux incluant le char à voile pour les derniers kilomètres ainsi que, pour un petit supplément, une voiture avec un masseur dédié et une salle de sport.
Bien sûr, les constructeurs automobiles ne vendent plus de voitures individuelles. Il est impossible d’acheter une voiture sans s’être cotisé à moins de 10 personnes. Lydia a fait un boom inattendu grâce cette nouvelle source de revenus. Les voitures sont désormais toutes électriques of course mais le choix est large. Les meilleures ventes sont la Citroën Ami, l’Audi Poto, la Skoda Copain et la Dacia Sang de la Veine.
Comment on s’habille ?
Patagonia est bien sûr le tailleur officiel de l’Elysée. Le premier discours du Nouvel An du Président en polaire moumoute sans manches bleu électrique a fait jaser, mais moins que sa barbe de trois jours (pénurie de rasoirs jetables quand Bic s’est réorienté à 100% sur la production de stylos trois couleurs - oui, trois couleurs, car on n’utilise jamais le vert arrêtons de nous mentir).
Shein et H&M ont essayé de niquer le système : ils ont annoncé en grande pompe ne faire plus que de la location de vêtements, mais avec des fringues de tellement mauvaise qu’alité qu’ils n’avaient le temps de les louer qu’à une personne pour un usage unique. Depuis, ils ont redressé la barre et fait leur mea culpa : le t-shirt noir “We’re so very sorry”, la robe “We’ve been assholes” et le hoodie “We fucked the planet for years but it’s over, we promise” sont les hits de l’automne/hiver 2023, 2024 et 2025.
Nike et consorts produisent désormais leurs sneakers localement, avec un seul et unique drop annuel. Comme beaucoup de pays ont perdu les compétences pour produire des baskets, Nike s’est adapté avec des produits locaux. En France, la Air Maximilien est une charentaise. A Amsterdam, la Air Jordaan est un sabot.
Comment on se chauffe ?
En frottant ses mains très fort l’une contre l’autre, et en mettant un deuxième pull. Après un conflit de plusieurs années avec SNCF pour utiliser aussi le slogan “On vous l’avait bien dit”, EDF lui a préféré “Le nucléaire c’est pas un peu super ?” et le compte qui live-twitte les ouvertures et fermetures de centrales pour des raisons de sécurité est le plus suivi de France. Pour la part du mix énergétique français qui ne provient pas d’énergies propres et renouvelables, la solution a été simple : on ne la fournit pas. Total s’appelle désormais Sous-Total, pour que la promesse soit claire. Franchement, tous les Noël se ressemblaient jusqu’ici, alors que le Noël 2023, qu’on a passé dans le noir, tous·tes serré·es sous le même plaid avec mamie, à manger des crudités, celui-là il a fait des souvenirs.
Le but de cet article n’est évidemment pas de dire qu’il ne faut pas prendre Patagonia comme modèle parce que c’est irréaliste. Le but premier, c’est de raconter n’importe quoi, déjà, que ça soit bien clair. Et ensuite, c’est de faire, sous couvert de lol, le constat déprimant qu’on parle, on parle, mais qu’il suffit d’une boîte, une seule qui prend une décision vraiment radicale, pour qu’on se rende compte que les petits changements incrémentaux ne vont pas nous amener bien loin.
Allez, je vous laisse, je vais me faire un cordon-bleu végétarien Maître Svelte.
Bisous,
Sev