Juin 2021. Le rosé en terrasse a fait son retour, la Fête de la Musique a semé ses petits clusters tranquillou à travers la France, même votre voisine antipathique semble d’humeur guillerette et tiens, vous réalisez que c’est les Cannes Lions. Vous aviez oublié c’est marrant.
Des milliers de créatifs à travers le monde défoncent fébrilement leur touche F5 sur lovethework.com, et vous, par acquit de conscience (oui ça s’écrit comme ça), vous cliquez avec, il faut le dire, un peu de réticence sur un palmarès LLLITL.
“Nan mais ça c’est un ghost c’est évident”.
“Mouais c’est cool mais ça valait pas un Grand Prix, si ?”
“Cette pub est clairement passée 1 fois à 3h du mat à la télé au Guatemala, pas moyen que ça soit sorti.”
“Comment ça peut faire 3 milliards d’impressions et on en a jamais entendu parler en vrai ?”
Le couperet tombe : “Non mais Cannes c’est plus ce que c’était”.
Faux.
Cannes est très exactement, très précisément ce qu’il a toujours été. Pas mieux pas pire. Un répertoire d’idées brillantes, innovantes, risquées, qui font avancer les marques/la société/des carrières, noyées au milieu d’un sacré paquet de bons vieux fakes créés spécifiquement pour s’entre-pignoler entre pubards et se maintenir dans des classements faits par eux-mêmes pour eux-mêmes. Un moyen extrêmement peu fiable de prédire la qualité du travail réel, ou la santé financière et morale, d’une agence. Un système fermé dont dépendent énormément d’évolutions de carrières et de new biz, et qui coûte un max de biff.
Cannes n’a pas changé.
Mais vous si.
Votre réaction à Cannes n’est rien d’autre qu’un baromètre de votre relation à l’industrie.
Alors parce que TTFO est toujours ravi·e d’aider, on vous a fait un petit récap pour vous aider à vous situer.
Les 7 étapes de votre deuil de l’industrie en fonction de votre rapport à Cannes.
Toute ressemblance avec des titres de films Twilight ne serait que fortuite.
Étape 1 : fascination
Wopitain, le talent qui existe dans cette industrie vous bute. Vous compilez avec assiduité toutes les entrées, vous regardez même les shortlists roumaines, TOUT, vous vous abreuvez, assoiffé·e, à la source même de la créativité.
Généralement, vous êtes stagiaire et on vous a demandé d’en faire un bench pour dans 48h, vous en sortez avec les yeux cernés mais pleins d’étoiles.
Étape 2 : admiration
Cette fois, votre spreadsheet est prêt. Vous classez toutes les campagnes par ordre de préférence, impatient·e de caler ce petit print incroyable pour une marque de yaourt en ref dans un prochain PB. Le seul truc que vous ne comprenez pas, c’est comment vous pourriez faire pareil alors que vous n’avez que des briefs pour des bumper ads.
Étape 3 : curation
On vous la fait pas. Cette activ Twitch au Brésil ressemble étrangement à une idée similaire d’il y a 3 ans par cette agence danoise à laquelle vous aviez envoyé votre CV mais qui a fermé entre-temps. Vous naviguez entre les catégories à la recherche de la pépite, la vraie. Celle qui fera battre votre coeur comme au premier jour.
Étape 4 : interrogation
Alors là franchement, vous ne comprenez pas. Vous aviez tout misé sur cette campagne que vous a-do-rez, le truc a pourtant giga-bien-marché et voilà, paf, une shortlist et c’est tout. C’est chelou. On vous explique que c’est normal, l’agence a pas fait de RP à l’inter, et n’avait personne au jury. C’est ridicule, c’est la créativité qui gagne, à Cannes. Vous êtes dans le déni.
Étape 5 : dépression
Plus rien n’a de sens. Les agences se soucient-elles vraiment des grandes causes qu’elles défendent chaque année, vers avril ? Cette opération de guerilla marketing a-t-elle vraiment changé le rapport des bulgares aux telco ? Est-ce que 3 Lions sur des bannos justifient que Jean-Gustave gagne 2 fois votre salaire ? La nausée s’empare de vous. Vous songez à devenir ébéniste. C’est bien, le travail de la matière. C’est concret.
Étape 6 : acceptation
Vous regardez avec bienveillance l’enthousiasme des autres chaque mois de juin. Vous félicitez les primé·e·s, vous regardez en fin de semaine un petit récap pour vous tenir au jus de ce qu’il y a à savoir pour pas perdre le fil au bar d’en bas. En bref, vous n’en avez plus rien à battre, mais vous avez fait la paix avec vous-même. C’est le moment de poser votre dem.
Étape 7 : dérision
Ça vous semble loin, tout ça. Vous avez trouvé un métier avec plus de sens. Vous êtes coach/prof de yoga/startupper/fleuriste/patron·ne de bar/fromager·ère, et Cannes, ça paraît tout petit, un peu rigolo maintenant que vous y pensez. Vous avez atteint le bodhisattva du battage de reins, vous êtes une personne accomplie. Parfois, juste parfois, vous vous faites un peu chier et vous vous dites que c’était rigolo, Cannes. Vous songez à lancer des awards du meilleur chien tête en bas.
Bisous,
Séverine
Quelle plume ! Et ça plume ! So good...