Quand l'arbre du wokisme cache la forêt de l'erreur stratégique
Le titre le moins clickbait de l'histoire de TTFO
Ces dernières semaines, le marché de la pub au UK s’est agité sur Let Life Happen, le dernier film de John Lewis pour son assurance habitation :
Oui, ça vous dit quelque chose, car c’est un reboot de cette petite pépite qu’était Tiny Dancer.
L’idée était plutôt simple : on reprend la pub qui avait bien marché en 2016 mais on la modernise (= un petit garçon maquillé et déguisé en fille #2021) et cette fois il casse vraiment des trucs.
Spoiler alert : John Lewis après avoir passé deux semaines à essayer de réparer les pots cassés (oui, pun intended, ça sera pas le dernier je préviens d’emblée), vient juste de retirer ce film. Car cette pub, bien que magnifiquement exécutée et fort réjouissante, a superbement badbuzzé (pour l’Académie Française “malramdamé”). Dans la catégorie “cas d’école du badbuzz”.
Ce qui est intéressant, c’est pourquoi ça a badbuzzé. Petite analyse en deux parties deux sous-parties.
L’arbre du wokisme
Première clé d’analyse - brandie par cette catégorie très particulière de journalistes dont l’occupation consiste à prendre quelques tweets (des TWEETS ! j’ai la flemme de retrouver la source, mais vous savez, Twitter, ce truc qu’utilisent les journalistes et les publicitaires quatre fois plus que le reste de la population?) et à les intégrer, sans data et sans recul (et autant, c’est la ligne édito de TTFO, autant on se considère pas trop trop comme des journalistes), dans des articles pas du tout orientés : ah là là, ouille ouille ouille, encore une marque qui a voulu woker (si un Ministre peut dire “wokisme”, on peut dire “woker”, wokay?) et qui s’en prend plein la tronche. Regardez comme c’est risqué ouh là là. On l’a même accusée de sexualiser un enfant.
Alors entendons-nous bien : déjà, oui, quasiment toutes les marques essayent en ce moment plus ou moins bien de rattraper des années de retard sur la représentation de la diversité dans leur com, et de surfer sur une prétendue vague d’attente d’engagement de la part des consommateurs, généralement moins bien, ça se voit, c’est pas top, même souvent c’est nul à chier. 
Mais franchement, si il faut une petite période de nullité et de forçage pour qu’on en arrive à ce que ça soit normal, et que les marques qui font n’importe quoi se prennent assez de coups de bâton pour redresser la barre, serrons les dents, ça va passer.
Mais on peut aussi se dire qu’un petit garçon qui aime bien se déguiser avec les affaires de sa maman, c’est globalement quelque chose d’assez classique, ça casse pas trois pattes à une table aux pieds canard. Source : la vie.
Bref, cette partie du risque en termes de réaction anti-woke, il y a fort à parier que Adam&Eve DDB et John Lewis l’ont mesurée et assumée, et même très probablement espérée. Leur stratégie, vu qu’ils sont challenger sur ce secteur, était probablement de taper un grand coup, de faire parler avec un débat dans l’air du temps pour avoir un petit pic d’awareness des familles. Sinon, il suffisait de re-sortir Tiny Dancer qui, elle, casse la baraque (sans la casser, si vous avez suivi).
Ok, donc attaquons le vrai sujet.
La forêt de l’erreur stratégique
Si on se penche un peu sur la vague de commentaires dévastateurs sous feue la pub John Lewis, c’est un tout autre problème qui se dégage.
Et pour éviter l’effet “prendre quelques tweets et tirer une conclusion”, voici UNE SOURCE (pouah) : une agence de tests qui a mesuré la réponse des gens à cette pub. Et pour celleux qui ont la flemme de cliquer, voici une citation saupoudrée de mes commentaires subtils :
Twitter takes are not always representative of real life (HAHA SANS DEC). In the comments in our tests there was only one mention of the dress or make-up, and nobody mentioned LGBT issues or even the dreaded word “woke” (BEN MERDE ALORS, JEAN-MICHEL B. AURAIT-IL TORT DE CRIER À LA SORCIÈRE ?) Ordinary viewers are fine with gender non-conformity. What they really cannot tolerate is mess. “Irresponsible”, “Silly”, “Bad behaviour”, “Destructive”… these words and associations kept coming up in the comments and account for why the ad racked up negative responses and performed badly on Star Rating.
Ce qui a emmerdé les gens, c’est beaucoup moins les soupçons d’un “agenda woke” que le fait qu’il s’agit d’un enfant mal-élevé qui détruit VOLONTAIREMENT les objets de sa maison, et fait même tomber la palette de peinture de sa soeur, ce qui n’est pas super sympa vous en conviendrez. On a même noté que c’était encore un garçon, vous savez, ceux à qui on dit de prendre de l’espace alors qu’on dit aux petites filles d’être calmes et sages, ce qui se traduit dans les cours de récré et plus tard, par une saloperie d’épidémie de manspreading qui nous casse bien les ovaires dans les transports, bref je me calme c’est pas totalement le sujet. Les gens ont globalement mal réagi parce qu’on nous montre quelqu’un de destructeur et d’impoli.
Oh mais ça va c’est bon les gens sont super premier degré on peut plus rien dire ? Oh ouais mais bon les anglais aussi ils sont vachement cul-serré ?
ALORS.
Ne nous emmêlons pas les pinceaux. Ce que je vois moi dans ces réactions et dans cette pub - que j’adore par ailleurs je suis si déchirée - c’est une erreur bien bien plus profonde : on ignore - volontairement ou non - le secteur dans lequel elle prend place.
Car dans le monde merveilleux de l’assurance, il y a deux choses à prendre en compte, allez c’est ti-par pour les bulletpoints :
la première, c’est que l’expérience d’une assurance est vraiment désagréable. Je ne vous l’apprends pas. On raque tous les mois, et souvent, quand on y fait appel, 1/ c’est qu’un truc pas cool s’est passé donc super ambiance 2/ on se voit répondre que notre problème n’est pas couvert, mais si regardez bien la petite ligne en corps 6 et en italiques à la page 42 du contrat.
Alors forcément, on va pas en vouloir aux centaines de personnes qui ont répondu à John Lewis qu’iels doutaient fort que des dommages VOLONTAIRES soient bel et bien couverts par leur politique (et le fait que la publicité risque d’être “misleading” est la raison principale invoquée pour son retrait par la FCA : “We would like to clarify that accidental damage cover is available as an add-on to John Lewis’ new home contents insurance product and only covers accidental (not deliberate) damage.”)
Voilà qui ne va pas aider à recréer la confiance dans le secteur. Essayer de faire son trou dans un marché qui a un historique, sans prendre en compte cet historique, c’est pas fut-fut.la seconde, c’est que le type de clients qu’une assurance arrive à acquérir, ben ça compte. Le business model du bousin repose sur l’espoir que, dans la masse totale de leurs clients, la partie la plus infime possible aura des problèmes. Parce que sinon pour couvrir tout ça, faut monter les prix des couvertures, et si on monte les prix on n’est pas super compétitif dans un secteur (au UK en tout cas) où le point d’entrée est majoritairement les comparateurs. Donc une bonne pub d’assurance, normalement, elle ne montre pas des comportements risqués, parce que ça augmente le risque d’attirer des consommateurs aux comportements risqués. C’est bête, c’est premier degré ? Peut-être bien, mais c’est comme ça que ça marche.
C’est audacieux, de vouloir faire du John Lewis sur de l’assurance, y’a pas à dire. Mais là où la magie de Tiny Dancer était que le film était métaphorique, l’ancrer cette fois dans la réalité et ignorer l’expérience réelle de ses clients avec le secteur, ben c’est juste un peu couillon. C’est bête, on pourra pas attaquer le wokisme cette fois.
Bisous,
Sev

