Pour tout vous dire, j’avais commencé un article que je voulais rigolo sur Cannes, et en fait j’ai eu la flemme (cannes’t be bothered), donc si vous avez envie d’un peu de cynisme cannois je vous dirige vers celui de l’année dernière.
Je préviens également : je suis dans un mood à faire des jeux de mots complètement nazes et hors-contexte. Vous allez me dire, c’est quoi la différence avec d’habitude, je vous répondrai vous allez voir.
Je préviens aussi que ma target ici est le personal branling, cette pratique qui consiste à raconter à la terre entière et en permanence qu’on a donné à un SDF ou qu’on a des discussions post-doc avec son petit de 3 ans, pas le fait de partager des wins, c’est subtil je sais, mais ça me fait plaisir pour vous que vous gagniez des Lions et que vous réussissiez des trucs.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été triggered par ce post :
Et je me suis souvenue de l’ancêtre de Disruptive Humans of Linkedin, le fantastique Tumblr Personal Branling qui est, à ma plus grande joie, toujours (br-)en ligne.
Je dois avouer que je ressens des sentiments mêlés à lecture de posts de ce type. Entendons-nous, il y a bien 90% de délectation moqueuse face à cette source - qui semble inépuisable - de créativité masturbatoire. Mais les 10% restants sont tout de même… du doute. Et si je n’avais qu’une part infime de cette audace, est-ce que ça pourrait m’aider dans la vie ?
J’ai donc eu envie, parce que je suis en train de me refaire tout Sex & The City, de me mettre face à mon écran telle Carrie Bradshaw, clope au bec, et de lancer une question random à laquelle je répondrai de façon random.
Les personal branleurs et autres adeptes de l’autoérotisme clickbait semi-épique avec retours à la ligne : qui sont-ils ? Et à part LinkedIn, quels sont leurs réseaux ?
Des hommes, onan c’est pas possible !
A vue de nez, comme Disruptive Humans, Personal Branling est composé à bien 82% de posts de mecs.
Scoop, didonc. Mais c’est moins rigolo si on ne va pas chercher un peu de refs et oui bien sûr, on va tenter d’expliquer ça en parlant éducation. Enfin même, d’avant l’éducation. Une étude qui m’a butée, c’est celle de l’Université du Sussex en 2016, qui a montré que MÊME LES PLEURS DE BÉBÉ SONT VUS DE FAÇON GENRÉE. Que des pleurs aigus étaient vus comme des pleurs de fille, déjà, mais surtout, surtout, qu’une fois que les gens connaissaient le sexe du bébé, iels avaient tendance à associer les pleurs des garçons à UNE PLUS GRANDE DÉTRESSE et donc à leur accorder plus d’attention. DES BÉBÉS. Je ne m’en remets pas.
A l’école, des études ont montré que les profs (c’est pas contre vous les profs, on vous kiffe, tenez bon) accordaient plus d’attention aux garçons, puis aux étudiants de sexe masculin, et que les garçons qui ont des besoins spécifiques sont mieux diagnostiqués que les filles.
Je pense qu’on a compris, globalement on apprend aux petits garçons dès le plus jeune âge que leur avis mérite une audience, que leurs attentes méritent d’être entendues. Obviously ça ne fait pas de tous les hommes des personal branleurs. Obviously c’est probablement en train de changer doucement. Obviously, on ne peut pas jeter la pierre aux parents d’avant, iels ont fait de leur mieux et ne savaient pas qu’un jour LinkedIn existerait pour que leurs gros bébés déversent leur brillance à grands coups de posts inspirationnels de type “aujourd’hui j’ai rencontré un candidat réfugié ukrainien unijambiste en entretien de stage, il avait 10 minutes de retard car il avait empêché une dame âgée de se faire renverser, et malgré son manque d’expérience (il n’avait fait que deux stages et une alternance après son Bac+5) il m’a sorti une punchline qui m’a fé réfléchire, EH BIEN je l’ai pris car je suis grand seigneur” (j’ai essayé de pousser le trait, mais j’y arrive pas, c’est plus une paraphrase qu’une parodie).
On rigole on rigole, mais il est vrai que sur les réseaux où ça se passe, les hommes sont beaucoup plus vocaux que les femmes. Il n’est pas besoin de prouver, mais des gens l’ont fait, que de leur côté, les femmes apprennent que se la péter, c’est pas bien. Elles ont même tendance à parler de leurs défauts et manques en entretien, pour éviter de décevoir après. Il y en a qui y arrivent, bien sûr, et franchement, good for them. Mais il y a beaucoup trop de nanas brillantes et talentueuses qui se dévalorisent, qui ont du mal à se mettre en avant, et c’est vraiment agaçant.
Les initiatives ne manquent pas pour essayer de compenser ce manque, des comptes Twitter aux programmes pour mettre en avant les meufs, mais bon, hein.
Des gens qui ont du temps
Ça c’est quand même la réflexion qu’on s’est tous·tes faite un jour, en lisant un énième post-fleuve de quelqu’un qui raconte en détail sa morning routine qui est, sans aucun doute, la clé de son succès (et pas du tout par exemple le fait d’avoir des parents riches).
On ne se parle pas seulement du temps de rédaction du post hein. On se parle du temps de cerveau consacré à imaginer, planifier, penser à de nouvelles idées, se dire que “ouais, franchement ça va grave intéresser les gens de savoir que dans dans ma boîte de winners, si tu viens pas samedi pas la peine de revenir dimanche”. Aux grandes heures de Clubhouse, il y avait des gens qui tenaient trois talks par jour pour partager leur succès. Je sais pas vous, mais je me dis que peut-être, maybe, il y aurait peut-être une relation inversement proportionnelle entre le temps passé à se la péter et le temps passé à faire des vrais trucs utiles. Je sais pas, je demande.
Des gens qui se trouvent intéressants entre eux
Les personal branleurs sont tous les dignes héritiers d’une seule et même culture, 80’s sans la permanente, Reagan-inspired, greed-is-good-esque remoulinée à la sauce startup nation. Résultat, dans leur petit monde, ce sont plus ou moins toujours les mêmes sujets qui remontent : succès, thune, productivité, leadership.
Ça intéresse des gens, évidemment. Des gens qui sont les premiers à acclamer les autophiles susmentionnés à grands coups d’emoji clap clap et de commentaires célébrant leur vision unique. Et c’est ainsi que se créent des cercles fermés d’entre-paluchage type human centipede mais digital.
Super pour eux, le seul souci est que, les algorithmes aidant, leur ultra-visibilité fait de l’ombre à plein de sujets pro qui pourraient être intéressants à traiter pourtant. Doutes, biais, difficultés, inégalités, conseils, méthodes alternatives de management. On a besoin d’entendre plus de femmes entrepreneuses, plus de gens qui ont le syndrome de l’imposteur, plus de gens qui apprennent à manager en faisant des erreurs, plus de gens qui se plantent, plus de gens qui doutent, des gens qui trop écoutent leur coeur se balancer.
Ce qui nous amène à ce qui est probablement la seule question vaguement intéressante de cet article : et si c’était pas une mauvaise idée qu’on s’y mette tous·tes un peu, au personal branling ?
Se la péter un coup, c’est important
Car oui, on pourrait se dire que le mieux c’est que tout le monde se calme sur l’auto-promo, mais non seulement LinkedIn serait bien moins rigolo, mais en plus on aurait probablement à y perdre, collectivement et individuellement. Bear with me, comme disait Paddington.
Collectivement, pour les raisons susmentionnées et parce que si plus de voix s’élevaient pour proposer des versions alternatives du succès, ben beaucoup de gens passeraient moins de temps à douter, et plus de temps à oser des trucs imparfaits mais cool, et à récolter des lauriers qu’iels méritent.
Individuellement, parce que d’une part, c’est terrible à dire, c’est le game. On ne va pas changer les règles du jour au lendemain, même si les changer est une priorité, et qu’on avance, doucement. Mais ça reste les gens qui parlent le plus fort, dans une salle de réu comme sur les réseaux, qu’on entend.
Aussi parce que dans notre secteur comme dans tous, la présence à l’esprit c’est important. Trop de gens qui n’ont rien à dire l’ouvrent en permanence (là avouez, vous êtes en train de vous dire que je me tire une balle dans le pied, mais je rappelle que c’est la ligne édito de TTFO), ça me tue de voir des gens intéressants hésiter à appuyer sur “publier”. Malheureusement parler c’est exister, et certain·es mériteraient bien d’exister plus.
Enfin, parce qu’en fait, ça peut être utile pour évoluer. Comme si cet article manquait de liens vers des papers universitaires, voici une étude de la Harvard Business School qui suggère qu’une fois qu’une personne a acquis des compétences sur un sujet, elle a moins de bénéfices à essayer d’acquérir des compétences incrémentales qu’à se poser, et essayer de comprendre et codifier ses acquis. En gros, revenir sur ses succès pour les analyser est un moyen de solidifier et de pouvoir partager ensuite ses apprentissages. Bref, c’est pas sale de temps en temps de se vautrer dans sa win si on le fait avec méthode (à ne pas confondre avec son frère Emmanuel).
Allons danser le jerk
Oui, le twist (on ne sait plus de quelle danse on parle, là) de cet article est qu’au lieu de juste critiquer l’auto-satisfaction publique, j’en viens à souhaiter qu’elle soit plus répandue.
Que plus de gens partagent leur fierté d’avoir réussi à boucler un projet qui leur tenait à coeur, même si c’était difficile. Leurs réflexions, leur point de vue lorsqu’ils sont sous-représentés sur un sujet, leurs apprentissages, même s’ils ont été coûteux. J’ai envie que l’auto-promo ne soit plus un truc sale, parce que l’auto-promo peut être tournée vers les autres, et pas seulement vers soi, elle peut être un encouragement à se lancer aussi et pas seulement un truc qui fait se sentir nul·le.
Y’a plein de conseils qui circulent sur le sujet, sur comment Lean In (insérer ici emoji vomi), oser se lancer, oser l’ouvrir, blablabla.
Je vais vous dire le seul truc qui marche pour moi, qui contrairement aux apparences n’aime pas particulièrement l’exercice : le role play.
Quand on hésite sur l’attitude à adopter, quand on hésite à poster un truc, quand on est mal à l’aise de l’ouvrir, se dire “Mais que ferait XXX dans cette situation ?”.
Prenez le modèle que vous voulez. Le plus extrême le mieux. Idéalement quelqu’un que vous détestez. Que ça soit Gary Vee, Elon Musk, ou juste le personal branleur de l’intro. Se demander ce que cette personne ferait dans ce cas, et le faire, même avec 10% de l’intensité de leur confiance en eux. Comme disait Somatoline Cosmetic, ça fonctionne.
Merci cependant de vous arrêter juste avant l’emoji fusée.
Bisous,
Sev
Toujours merci pour ces bons moments de lecture.
Ce sujet, appelé parfois aussi "autofellationnisme" est bel et bien devenu une posture dominante sur les médias sociaux (et pas que). Perso je ne suis pas assez souple pour m'y adonner mais j'aime bien l'idée d'oser se la péter d'avantage et prendre plus la parole... émoji pouce levé ; )
J'ai tout lu d'une traite. Je devrais en faire un poste linkedIn.